Lapara

Lapara, signé evan mall
2018-2020

À la limite du roman, au seuil de la poésie

Lapara est un récit de fiction expérimental, rédigé à la première personne, exprimant la subjectivité jeune, queer et rompue du personnage Lapara. Afin d'écrire cette subjectivité, de représenter une sidération continue, une disjonction toujours réitérée, j'ai voulu le texte à la fois double et absence.

D'une part, le style hybride et la structure narrative scindée sont le support de l'expression de l'état traumatique de Lapara, présenté comme un état normal et irrésolu. D'autre part, l'indétermination de genre se concrétise, quant à elle, à travers les actions et errements du récit, mais aussi à travers l'évacuation des indices que le langage pourrait fournir sur le genre de ce « je » que le lecteur accompagne, tels que l'accord des adjectifs.

Au cœur de cet essai stylistique contraint, vingt-quatre heures s'écoulent dans la vie dissociée de Lapara, personnage hanté par le capitalisme, aux corps et genre incertains et qui est, pour finir, une chimère dont l'artificialité et l'apparente dislocation se rapprochent de celles du monde urbain, numérique et fragmenté qu'elle habite.

La résolution que les récits souvent proposent n'a pas exactement sa place ici. Cela ne signifie pas pour autant que Lapara n'est que fatalisme, mais plutôt que la résolution, en tant qu'intégration et dépassement, ne se situe pas au niveau du personnage mais au niveau du texte, du travail de la langue.

Lapara, première édition imprimée
2022

Résumé en quatrième de couverture, version rouge :

• Des histoires queer, des personnages trans,
• A very long dream for the lost souls!
• Some broken narratives and a major heartbreak!
• Serious and sincere jokes,
• A lot of fears and monsters,
• De la sensualité et du style,
• Une douche et un peu de bouffe.
• Probablement pas ce que vous cherchez.
• Du diable et de l’errance,
• Some lack of,
• Aucune autre liste,
• Max, un personnage secondaire,
• Des formes,
• La poursuite de la modernité,
• L’Argent,
• Une transition, du début à la fin, étirée,
• De l’amour honnête,
• Des mondes parallèles.

Premières lignes de Lapara :

« Le réveil, là, est un naufrage en vase clos. L’oeil gauche reste tapi ; orvet épeuré, il s’enroule autour de son nerf. Le droit est grand ouvert, fixe. Un matelas paraît, durci par la nuit, dos lourd sur coque encore humide, poisseuse. Un visage à côté fait mal comme le soleil blanc qui tape en pleine mer, aveugle. Soleil tranquille, soleil avale. Il se repose sans faire d’histoires mais boit les moindres gouttes. L’épaule ronde et creuse de Visage-à-côté sort des draps. Je guette un mouvement, un sourire en coin qui annoncerait le petit déjeuner. Las : la bouche sèche ne que souffle – dans le sommeil, profonde est la bave.

Il est encore trop tôt. Un monde en miettes – flottantes – attend de se rassembler. Je navigue dans une banque d’images, péniblement – ah : le lag. Mon nez s’énerve. Il cherche un peu d’espoir entre les tissus plissés et les chairs gonflées de sommeil. Je connais le nom de l’homme allongé près de moi, ses habitudes, sa posture lorsqu’il prépare le – et j’arrache les sétules que Slippery, narvalo de mes cauchemars, accroche encore à la surface de mon lacune – café ; café. Mes narines se tendent, je cherche l’odeur, en vain. Mes yeux s’ouvrent sur l’écart qui se creuse entre Visage et moi. L’odeur me le ferait oublier ; d’un geste distrait on chasse une mouche. Sans appui, je tâte des souvenirs confus.

Ses bras m’agrippent ; et nos mâchoires ensemble se décrochent : je bouche béante et vide. Me vient un mémoirement de flashs de chair, éclats de langues et de palais, nuées de détails sans ensemble : là, bon, je barbote dans mes consistances. Et bientôt l’évidence froide se glisse sous les draps, entre nos orteils mous : je ne peux plus l’approcher.

Je rêve pourtant encore une sueur introuvable. Son joli profil – cette nuit, la hess s’est assise sur mon flanc, je m’en souviens – fades away from my heart ; mes paupières tremblantes, les siennes de marbre. Le marbre est sans odeur et le soleil avale. Ma tête, perdue en mer, bocal glauque où grouille un noeud de reptiles – Aquarium of life inside my mind, this is trip (they good)1 – ils glissent, se tendent et ça me presse. Visage-à-côté, grasse matinée, sans cérémonie je vais te quitter.

Je vais te quitter, pensai-je. Pusse le vice. »

1 Yung Lean — Muddy Sea

257 pages, 21 x 14,8 cm